L’autorité Docteur Jean François Le Goff

Trois ans plus tard, la “sémantique de l’autorité” continue à coloniser les familles et les thérapeutes...

Il y a trois ans, j’ai écrit cet article en réponse à la percée dans le champ des psychothérapies d’une « sémantique de l’autorité » qui se proposait de devenir la pensée unique, à la fois le diagnostic et la solution de la crise sociale.

Cet article n’a pas été bien accueilli et il a suscité un certain nombre de réactions négatives comme s’il était devenu tout à fait inadmissible, voire irréaliste, de ne pas traduire les relations, toutes les relations dans les systèmes familiaux, en terme d’autorité. Rien, pas un geste, pas une émotion, pas une interaction, pas une communication ne pouvaient échapper à l’autorité. Ainsi, puisque je refusais ce qui devenait une loi naturelle et évidente, on me reprochait d’être « laxiste », « provocateur », « permissif » et « libertaire » et incapable de me préoccuper des conséquences graves du délitement de l’autorité.

À vrai dire la notion d’autorité est particulièrement floue, elle est difficile à définir clairement, mais elle s’impose de façon irrationnelle pour donner un semblant de rationnel dans les relations humaines. Elle est décrite comme indispensable à la survie des humains et à leur organisation. Tel qu’elle est utilisée, et rabâchée aujourd’hui dans le domaine des psychothérapies et de la psychologie, elle est synonyme de la domination de celui qui « saurait comment faire », et quand il ne sait pas on lui dit comment faire en assurant qu’il n’y arrivera pas, sur celui qui « ne le saurait pas ». L’autre est automatiquement considéré comme celui qui va ou veut brouiller et refuser les règles, c’est en puissance quelqu’un qu’il faut corriger.

Hélas, depuis la publication de cet article, j’ai l’impression que « la sémantique de l’autorité » a encore gagné du terrain dans le langage des thérapeutes, quels que soient leurs orientations, et dans les médias. Les rappels à l’ordre des familles en particulier des familles « outsiders » parfois poliment, mais pompeusement, appelés « soutien à la parentalité » sont devenus un thème banal et la préoccupation des thérapeutes. Ceux-ci sont souvent piégés par cette croyance qu’introduire l’autorité, d’en finir avec les parents démissionnaires et les enfants-rois seraient les objectifs des thérapies. Ainsi, en acceptant cette sémantique, comme naturelle, et ses conséquences, se placent-ils qu’ils le veuillent ou non, qu’ils le souhaitent ou non du côté de ce que Donzelot appelait « la police des familles ». Mais cette police n’est plus celle des années soixante-dix, car personne ne se donne aujourd’hui comme idéal la famille conjugale durable. Dans le monde de consommation dominé par le fétichisme de la marchandise et l’obsolescence de l’humain, on loue les « nouvelles familles ». Ainsi recomposer une famille est devenu l’aventure ultime de ce monde vide où les relations les plus affectives sont colonisées par la marchandisation, mais on stigmatise les familles monoparentales, les familles « trop » nombreuses et les familles « pauvres », soit toutes celles qui échappent à un nouvel ordre qui se prétend libéré des valeurs du passé.

Un exemple parmi cent autres : Il y a quelques semaines, je regardais une émission de Télévision sur la violence des jeunes. Le thérapeute familial de service, bronzé et souriant, porteur de cette fine barbe soignée donnant l’air de ne pas être rasée, énonçait avec conviction le diagnostic : « oui, ces jeunes sont élevés dans des familles monoparentales ! », et ce avec une larme de pitié vis-à-vis de ces mères, puis la solution : eh oui, notre superbe thérapeute médiatique « introduisait du père tous les jours lors de ses séances de thérapies familiales », quel courage ! De tels propos, qui n’ont même pas l’excuse de la mondanité, s’ils sont particulièrement absurdes sur le plan thérapeutique, sont socialement stigmatisants. J’espère que les thérapeutes familiaux ne suivront pas une telle impasse.

On m’a souvent opposé le fait que souvent c’était le parent ou les parents qui consultaient à propos de leur difficulté avec l’autorité. Cela n’est que le témoignage de la puissance de la « sémantique de l’autorité » distillée quotidiennement par les médias (télévision avec émission de psy, presses écrites et presses de psycho-pop.) et de sa colonisation des relations parents-enfants mais ne légitime pas pour autant le recours à l’autorité.

Cet article se voulait simplement une analyse des conséquences de l’introduction d’une sémantique binaire dans un système familial. Comme l’analysait le sociologue allemand Niklas Luhmann, les systèmes familiaux ont cette particularité, à la différence des autres systèmes sociaux, de ne pas fonctionner sur un code binaire (code principal ou codes secondaires), mais sont l’espace complexe où se montrent pertinentes toutes les communications concernant l’articulation entre les systèmes psychiques de chaque « participant » et le système que forme la famille. En tenant compte de ce point de vue particulièrement éclairant, réduire la communication dans le système famille ou dans le système thérapeutes-famille à un code binaire comme celui de l’autorité mène à des impasses, à des escalades symétriques et font sortir assurément d’une conception systémique de la thérapie. L’autre conséquence est sociale : les familles dites sans autorité sont stigmatisées et, de plus en plus, criminalisées par des sanctions scandaleuses contre les mères de famille monoparentale.

Refuser la sémantique de l’autorité devient ainsi un acte de résistance à la barbarie et de solidarité avec les familles stigmatisées. Et cela est indispensable avant même l’idée de s’engager dans une thérapie. À partir du moment où le système famille et le système thérapeute abandonne cette sémantique, l’autonomie et la solidarité pourront advenir.

Docteur Jean François Le Goff
djflg@free.fr
Avril 2011