LE LIEN SECTAIRE : DES RELATIONS FONDEES SUR LA RUPTURE Critique de « L’expérience sectaire : rupture ou réparation »

Thérapie Familiale n°2 , 2006.

LE LIEN SECTAIRE :
DES RELATIONS FONDEES SUR LA RUPTURE
Critique de « L’expérience sectaire :
rupture ou réparation »
.

Jean-Claude Maes

Psychologue clinicien, thérapeute familial systémique, président de SOS-Sectes, B-1190 Bruxelles.

Résumé :

Le lien sectaire : des relations fondées sur la rupture. Critique de « L’expérience sectaire : rupture ou réparation ». , Ce qui ne devait être qu’une critique d’article est devenu un article à part entière, qui distingue les relations du lien, puis le simple lien du double lien, pour conclure que le lien sectaire est une ligature, piège fait de relations fondées sur la rupture.

Commençons par situer d’où je parle : j’ai fondé, en 1996, un « service d’aide aux victimes de sectes », une initiative dont il n’existe à ma connaissance qu’un seul équivalent en Europe (un projet-pilote au sein du Centre Georges Devereux à Paris). Dans ce cadre, j’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreux ex-adeptes et de nombreuses familles d’adeptes. J’ai également dirigé deux recherches explorant respectivement le profil individuel et le profil familial d’un échantillon représentatif d’ex-adeptes (Maes et al., 2002). Cet abondant matériel me confère une certaine autorité en matière d’observation du phénomène sectaire. Or, mes conclusions divergent radicalement de ce qu’on peut lire dans « L’expérience sectaire : rupture ou réparation », de N. de Kernier...

Une recherche scientifique se construit en trois étapes : la construction des hypothèses, la mise en place d’une expérience et l’interprétation des résultats. La critique d’une recherche peut porter sur chacune ou plusieurs de ces trois étapes. Dans le cas de la recherche de N. de Kernier, force est de constater que toutes posent problème... Notons encore qu’en sciences humaines, l’interprétation des résultats débouche sur des axiomes moins volontiers que sur de nouvelles hypothèses, qui soit feront l’objet d’une nouvelle expérience, soit seront mises à l’épreuve par une clinique. Toutes ces considérations réunies m’ont poussé à construire cet article en trois parties : 1. une critique de l’article de N. de Kernier, qui en réalité se penche surtout sur la façon dont elle a trié les informations au stade de la première étape de sa recherche ; 2. un exposé de mes propres conclusions de recherches, sachant que l’exposé complet de mes recherches se trouve ailleurs (Maes et al., 2002) ; et 3. un exposé succinct du modèle d’intervention que j’ai développé dans le cadre de SOS-Sectes, qui s’articule comme une continuité de mes recherches. Le total fait un long article et une critique incomplète, mais susceptible d’intéresser les cliniciens.

Critique de « L’expérience sectaire, rupture ou réparation ? »

La caricature psychanalytique

Quasiment en exergue de son article, N. de Kernier cite mon ami E. Diet, quand celui-ci invite le chercheur à éviter les deux extrêmes de la banalisation et de la dramatisation. Ce qui sous-tend généralement l’idée qu’il ne faut ni que le statut de victime devienne une néo-identité, ni que le déni d’un tel statut empêche la victime d’élaborer quelque chose autour de son traumatisme. Mais dans ce cas-ci, il me semble qu’il y a, peut-être à l’insu de N. de Kernier, des enjeux idéologiques. C’est pourquoi, en exergue de mon propre article, je citerai, moi, J. Miermont, pour qui la construction d’un savoir se déploie entre expériences, croyances et connaissances, ou encore, entre « rituels », « mythes » et « épistémès » (2005, p. 11).

Dans le cas de N. de Kernier, les rituels sont à situer du côté de l’académisme universitaire imposé à tout mémorant désireux de reconnaissance3. Dans ce cadre, elle se choisit un « maître », celui qui lui semble le plus apte à la soutenir dans ses hypothèses : B. Chouvier4. Si nous examinons un peu attentivement la bibliographie de N. de Kernier en miroir de son cheminement conceptuel, l’article princeps est indéniablement « Les avatars de l’idéal : une approche psychanalytique du " sectaire " » (Chouvier, 1999).

Du côté des mythes, et au niveau le plus explicite (je dirai ce que je devine de l’implicite au chapitre : Quelques définitions du mot « secte » (pp. 136-7), ce que désire dénoncer B. Chouvier, c’est la caricature comportementaliste, ce que je comprends fort bien, l’ayant moi-même fuie dès le départ de ma pratique d’aide aux victimes de sectes. En effet,…

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