Segond : Eva Freud, une vie

EVA FREUD, UNE VIE Berlin 1924, Nice 1934, Marseille 1944

Pierre SEGOND (article repris et complété en Mars 2004)

in Memoriam Francine BEDDOCK, psychanalyste

"Garance : Je trouvais ma vie tellement vide et je me sentais si seule. Mais je me disais : tu n’as pas le droit d’être triste, tu as tout de même été heureuse puisque quelqu’un t’a aimée"

Jacques PREVERT

(Les Enfants du Paradis)
" Auschwitz, en être..."
Anne-Lise STERN (1988)

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La destinée d’Eva Freud, petite-fille de Sigmund Freud, morte à Marseille en 1944, à l’àge de vingt ans, est traversée tout entière par l’histoire collective. J’ai essayé ici de resituer cette trajectoire individuelle à la fois dans son cadre familial et dans le contexte de son époque, tout en restituant, aussi fidèlement que possible, les divers témoignages inédits que j’ai pu recueillir auprès de ceux qui l’ont connue. Par sa dimension dramatique, cet itinéraire de vie, ni privé, ni public, m’est apparu être de l’ordre du politique : c’est parce qu’elle était juive et parce qu’elle était femme qu’Eva est morte dans ces conditions.

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Repères chronologiques

1891

Naissance à Vienne, le 19 Février 1891, d’Oliver FREUD, troisième enfant de S.Freud et Martha Bernay, prénommé Oliver, en hommage à Oliver Cromwell, héros admiré par Freud. Avec sa soeur Sophie, c’est l’un des plus beaux enfants de la fratrie. Il est le fils préféré de sa mère : c’est un bel enfant aux yeux et cheveux noirs, au type "italien", qui suscitait l’admiration pour sa beauté ; intelligent et apprécié par son père, il en était aussi "la fierté" et "l’espoir secret". Comme ses frères et soeurs, il fait d’abord ses études primaires à domicile, avec un précepteur. Par ailleurs, les enfants ne sont pas élevés dans la religion juive : ils partagent l’athéisme de leur père, mêlé à un souci d’intégration à la société viennoise ; ils seront, en revanche, semble-t-il, assez proches, par la suite, du courant sioniste qui se développait, et envisageront même - ce fut le cas d’Oliver et de Ernst, vers 1933 - une éventuelle émigration vers la Palestine, projet qui, finalement, ne se réalisera pas.

1900-1909

Oliver effectue ses études classiques au Humanistic Gymnasium de Vienne où il obtient d’excellents résultats scolaires : il aime le dessin et les mathématiques et se montre très perfectionniste, mais peu enclin aux activités physiques. Sa mère "ne recevait que des compliments pour les progrès que faisait Oliver"...il "n’avait pas de temps à perdre avec les fantaisies, ne s’intéressant qu’à la réalité telle qu’il la voyait...Papa racontait qu’Oliver consacrait beaucoup de temps à noter très exactement les routes, les distances, les noms des localités et des montagnes" (Martin Freud, Freud, mon père) C’est à lui que l’on confie la charge d’étudier les itinéraires les plus compliqués dans les horaires de trains, pour les divers voyages des uns et des autres. Par ailleurs, il est gêné par un zézaiement et est traité par des séances d’ orthophonie. Vers 1909, il passe le Reifprüfung (examen d’entrée à l’Université) et"ne voulait faire que des mathématiques industrielles"(idem).

1910-1914

Durant cette période, Oliver poursuit ses études, d’abord à Vienne, puis à Berlin, où il obtiendra son diplôme d’ingénieur en génie civil, en 1915. Dans le même temps il effectue plusieurs voyages d’agrément ou d’étude à l’étranger,(1910, en Hollande avec son père ; avril 1911, en Angleterre, seul et sur ses deniers ; en décembre 1913, une quinzaine de jours à Paris ; en avril 1914, en Egypte).

1914-1918

Oliver essaie de s’engager, mais il ne sera pris dans l’armée que fin 1916. En attendant, il travaillera à la réalisation d’un tunnel sous les Carpates, destiné à relier par chemin de fer Berlin à Constantinople et son père lui rend visite sur son chantier. Durant cette pèriode, il avait fait la connaissance, à l’occasion du voyage en Égypte organisé par l’Université, d’une jeune femme, médecin, Ella Haïm, d’une riche famille juive de Vienne. Les deux jeunes gens se fiancent en septembre 1915, et se marient à Vienne le 19.12.1915, à l’occasion d’un bref séjour à Vienne d’Oliver. Son père exprime vite des inquiétudes quant à l’avenir de cette union, craignant que cela n’apporte pas le bonheur souhaité à son fils, car la jeune femme n’envisage pas de renoncer à l’exercice de la médecine pour rester au foyer ; de plus l’écart économique entre les deux familles constitue, à ses yeux, un handicap. Aussi est-il assez satisfait lorsque dés mai 1916, une procédure de divorce est…

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