Comment questionner son travail au bénéfice de son expérience ?

L’expérience clinique, c’est-à-dire la somme des adaptations que chaque situation requiert pour améliorer l’écoute singulière de la personne, a rarement fait l’objet d’une réflexion écrite. Une partie se retrouve dans les écrits théoriques, mais leur forme est dans une telle distanciation, une telle objectivité, que ceux-ci reflètent mal ce qui a pu se passer dans les échanges. Ces écrits tentent d’ériger un savoir académique aux frontières claires, et pas un savoir qui reflète une interaction qui se définit comme une quête provisoire et sans cesse en interrogation validée de manière vécue émotionnellement par les intervenants. L’écoute ne peut supporter cette quête de démonstration parfaite, car elle doit nous motiver à ne pas clôturer trop vite le sujet et à toujours le remettre en question.

Dans ce qui suit, nous voudrions rendre compte de l’expérience clinique en essayant de rester au plus près de ce qui la rend vivante.

Comment mettre nos difficultés au service de notre créativité ?

Aujourd’hui, c’est exceptionnel, Thérèse n’a qu’une consultation de couple, ce matin. Elle se sent détendue. Très contente de cette perspective, elle coupe quelques fleurs avant l’arrivée de ce premier rendez-vous. 

Elle ne le sait pas encore, mais ce premier rendez-vous va être un cauchemar. Dialogue de sourds, violences verbales, elle ne peut pas avoir de place malgré toutes ses tentatives. Comme dans la passion, ils restent seuls, créant eux-mêmes leurs insécurités. Leurs vibrations sonores sont amplifiées, de peur de perdre sans doute la preuve du caractère « exceptionnel » de leur amour.

Thérèse s’est mise à fonctionner sur mode machinal. Elle se posa la question de la pertinence de leur remettre un autre rendez-vous, elle le fera. Elle constata avec amertume qu’elle en a même perdu la notion du temps, car elle leur a accordé une demi-heure de plus.
 Elle s’est sentie humiliée, impuissante. Et elle s’en veut. Peut-être qu’une autre fois, elle sera plus cassante ou plus sur la défensive. Mais est-ce la bonne solution ?

Diverses options pour soutenir l’imagination

Vous pourriez penser que Thérèse suivrait le conseil d’une de ses amies : "Va donc te défouler, fais du sport". Thérèse utilise déjà ce type d’activité cathartique. Grâce à un travail psychothérapeutique personnel antérieur, elle a appris à mettre ses souffrances au travail, à revisiter ses traumatismes, à regarder ses imperfections et ses difficultés avec bienveillance. Elle sait aussi que les intégrer dans le récit de sa vie peut véritablement constituer en soi un processus d’évolution personnel.

Elle va s’appliquer à essayer de tirer réellement parti de ce ressenti d’impuissance, peut-être de honte, d’humiliation. Elle est convaincue du cadeau que constitue cette invitation au voyage par ce couple dans ses émotions personnelles. Il n’est pas exclu que sa propre démarche narrative puisse être analogue à la leur et, si c’était le cas, cela lui permettrait d’être plus authentique avec eux. Ils découvriraient une communication plus subjective donc plus proche.

Thérèse connaît les diverses formes d’aides pour transformer cette mésaventure en expérience enrichissante. Elle peut choisir en fonction de ses ressentis. Après le temps du risque et de l’inattendu, prenons le temps du récit, se dit-elle.

Elle se remémore quelques scènes piquantes de cette séance paralysante et elle se met à rédiger en répondant à quelques questions.
À quoi leur sert un tel désaccord entre eux ? Comment se sont-ils identifiés à un ego d’eux-mêmes tellement menaçant ? Doivent-ils défendre un enjeu d’emprise entre eux ?

En même temps, elle se revoit elle-même dans une ou plusieurs situations analogues et par ce biais, il lui sera sans doute plus facile d’entrevoir une lueur d’espérance à laquelle elle songera dans sa rédaction et dont elle vérifiera la faisabilité avec le couple lors de leur prochaine rencontre.

Peut-être fera-t-elle de la prochaine séance un enregistrement vidéo. Elle a expérimenté son intérêt pour rendre compte de l’interaction entre consultants et consulté. Prudente, elle sait que l’image est captatrice par son réalisme et que l’on a, à l’inverse de l’écriture plus imaginaire, difficile de ne pas prendre ce que l’on voit comme objectif et vrai.

Elle n’en fera pas une séance cathartique avec les collègues en racontant son désarroi parce qu’elle sait que les conseils qu’elle recevra en retour ne seront comme autant de dépannages sans vue d’ensemble, ni quant aux sens, ni quant à la finalité des enjeux du couple consultant.
Quand cette catharsis a lieu en équipe elle se structure en référence à un leader qui garantit les décisions prises et apaise les craintes de commettre des erreurs.

Non, se dit-elle, je préfère m’appuyer sur des références théoriques. Elles constituent à un moment donné la somme des connaissances, variées et diverses, sur un sujet. Et pour laquelle il convient aussi de mettre en œuvre une appropriation subjective.

Comment s’enrichir de la théorie en se l’appropriant ?

Notre finalité ultime n’est pas d’apporter des solutions aux consultants, mais d’utiliser leurs ressources en vue d’effectuer avec eux un cheminement réflexif et émotionnel. Il confortera leurs capacités à reprendre eux-mêmes le processus de travail.

Pour réaliser cette finalité, le thérapeute doit parvenir à assimiler les éléments théoriques si intimement, qu’ils nourrissent son dialogue intérieur et son dialogue avec les consultants. Afin qu’ils soient stimulés dans leurs interrogations, tout en accordant la priorité à ce qui se passe dans la séance.

Comment développer son questionnement par le partage ?

Tous les modèles repris ci-dessus supposent que, pour être profitable et se transformer en expérience c’est-à-dire en connaissance subjective propre à sa singularité, le récit soit partagé.

Le partage avec autrui est une partie importante, c’est par lui que l’on découvre toutes les différentes possibilités d’intervention. C’est par un voyage dans d’autres régions que l’on apprend à investir la sienne et aussi en reconnaissant le gain que le voyage a pu éveiller en nous.
D’abord, le partage se fait avec les consultants. Il a pour objectif de vérifier, si la narration que l’on fait, le plus souvent sous forme de questionnement, rencontre leur ressenti avec les nuances qu’ils donneront.
Ensuite, le partage se fait avec des collègues de son équipe. Ensuite à tout groupe qui s’engage à une règle de réciprocité par l’intermédiaire du site.

Cela impose le respect du secret professionnel. Il conviendra de rendre les situations décrites à l’abri de toutes indiscrétions et de travailler dans des accès restreints sécurisés.