Cyrulnik Boris : Comment ça se fabrique, un petit homme ?

Conférence de Boris Cyrulnik Louvain-la- Neuve 24/03/2002

Merci de m’avoir invité ! Je suis très content de découvrir Louvain-la-Neuve. Je vais passer une heure avec vous pour vous convaincre que les déterminismes sont assez forts. C’est-à- dire qu’on est tout le temps déterminé : avant notre naissance et pendant l’espérance de vie qui nous est due. On peut douter de l’efficacité de la résilience seulement après l’âge de 120 ans, alors là cela paraît plus difficile, mais tant qu’on n’a pas atteint l’âge de 120 ans, il y a des choses à combattre et des choses à faire.

"Werden ", devenir

Quand je dis qu’il y a mille déterminismes, c’est comme s’il n’y en avait pas puisqu’à chaque étape de notre développement, on a des problèmes à résoudre différemment, des problèmes différents à résoudre. C’est pour cela qu’il faut s’entraîner à raisonner avec un mot important qui est le mot werden.

Pour les non-germanistes qui sont dans la salle, werden, ça veut dire devenir. C’est un mot qui peut paraître étonnant et c’est un mot qui a révolutionné la représentation de la condition humaine.

Avant l’apparition de ce mot au 19e siècle, par Wilsch et Musof , par Freud, l’inventeur de la psychanalyse, par Darwin en biologie, on pensait que les choses étaient dans l’ordre : que les animaux étaient à leur place, les hommes à leur place, les femmes à leur place, les pauvres à leur place, les riches à leur place ; l’ordre régnait et par conséquent, il n’y avait rien à discuter, rien à négocier, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Puis quand ces penseurs ont glissé le mot werden - devenir - dans l’observation de l’homme, alors à ce moment-là, la représentation, la philosophie donc les conditions, les attitudes, les décisions que nos décideurs politiques avaient à prendre étaient totalement différentes parce que ce qu’on est aujourd’hui n’est pas forcément ce qu’on sera demain, et que quand on a ce mot en tête et qu’on voit aujourd’hui un enfant blessé parce il y a la guerre, parce que sa mère est malheureuse, morte, ou que sa famille a disparu parce qu’il a été agressé, l’enfant est très altéré. Et ce qu’il est aujourd’hui n’est pas forcément ce qu’il sera demain à condition de mettre autour de lui une série de déterminismes, mille déterminismes comme s’il n’y en avait pas.

A chaque étape de son développement, il va falloir trouver un autre mode d’intervention.

Voilà un peu le raisonnement que je vais vous proposer pendant les six heures qu’il nous reste...

Comment ça se fabrique, un petit d’homme ?

Sur le plan pratique, je pense que vous avez des idées... Mais je pense sur un plan développemental...

A l’université de Toulon, on a eu une idée géniale. Il y a deux échographies obligatoires au cours de chaque grossesse. Et tous les gens dans la salle qui ont eu à s’occuper de bébés savent bien que les bébés dans l’heure, le jour qui suit leur naissance ont déjà des profils de tempérament, des petits comportements étonnamment différents : on voit des bébés qui sont pleureurs, d’autres qui sont sourieurs, des pères gros tranquilles, des petites mères agitées, etc. Tout de suite après leur naissance, alors qu’ils sont âgés d’une heure à vingt-quatre heures, on voit que déjà ils ne réagissent pas de la même manière. C’était un argument en faveur de l’inné. Les gens qui ont fait ces constats disaient "mais si ces bébés sont différents, c’est bien la preuve qu’il y a des déterminants innés". Admettons cela.

Il y a en France deux échographies légales. On dit « Madame est-ce que vous acceptez que l’on filme l’écran de…

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