DESSOY : Le refus de l’école

Le refus de l’école

réf:Thérapie familiale 2004/1 (Vol. 25)
Etienne DESSOY [1]

J’aborderai la question de la difficulté d’apprentissage scolaire par le biais de mon expérience d’enseignant et de mon expérience de psychothérapeute, à partir du chemin que j’ai moi-même parcouru. Tout d’abord le constat d’un jeune instituteur qui s’étonne de la si grande différence entre les enfants qui fréquentent l’enseignement ordinaire et ceux qui fréquentent l’enseignement spécial [2] J’interroge ensuite l’environnement social dans lequel évolue l’enfant en difficulté et je rejoins les travaux des pédagogues et des sociologues qui ont montré l’influence du milieu d’appartenance de l’enfant sur son développement scolaire : le fait que telle catégorie sociale fréquente tel type d’école, le fait aussi que la plupart des écoles spéciales accueillent une population dont le niveau social et économique est si éloigné du niveau de la moyenne de la population. Dans cette perspective, de quels outils disposons-nous aujourd’hui pour comprendre le sens de cet arrêt de développement et pour y apporter un remède ? Les idées de “ cycle de vie ” et de “ rite de passage ” proposent une réponse. Le rite de passage est un processus présent au cœur de tout apprentissage qui, au gré des circonstances, favorise le changement ou, au contraire, le bloque. Une meilleure connaissance du processus permettrait de l’utiliser comme un levier de changement capable de remobiliser les apprentissages de l’enfant. Au terme de l’exposé, je propose d’articuler deux formes d’apprentissage : celle dont parle Piaget et les cognitivistes, un processus essentiellement intrapsychique bien connu, et l’apprentissage qui a lieu lors du passage d’une étape à une autre de la vie et qui ne peut se réaliser qu’avec la collaboration active des milieux qui entourent l’enfant. Ces deux apprentissages, l’un psychologique, l’autre sociétal, s’associent étroitement en situant la problématique de l’enfant en difficulté d’apprentissage dans une perspective résolument psycho-sociétale à partir de laquelle de nouvelles formes de changement peuvent être tentées.

I. Mon expérience d’instituteur

Ma vie professionnelle débute à l’école Saint Julien à Bruxelles. J’enseigne en troisième année primaire et les enfants ne demandent qu’à apprendre. L’année suivante, on me propose un intérim d’un an à l’école d’application de l’école normale où j’avais fait mes études d’instituteur, à Theux, une petite ville de la province de Liège. Deux années de bonheur : les enfants sont attentifs et désirent apprendre pour peu que l’instituteur soit motivé et sache susciter leur intérêt. Jusque-là, je n’ai pas rencontré d’enfant en réelle difficulté d’apprentissage. Il y eut bien Arthur, un petit garçon très timide et souriant qui peinait beaucoup sur son banc. Ses parents tenaient une ferme éloignée de la ville et l’enfant ne sentait pas toujours la rose ; ses habits vieillots étaient confectionnés par la grand-mère sur des “ patrons ” datant sans doute du siècle passé. J’étais très jeune et j’ignorais encore les arcanes de la sociologie et l’influence des classes sociales mais il n’eût pas été étonnant que les difficultés scolaires d’Arthur fussent liées à un certain rejet de ses camarades et à un désintérêt évident de ses parents pour la chose scolaire.

Au terme de ces deux ans, je suis engagé dans la même petite ville par des religieuses qui dirigent un établissement d’enseignement spécial où les enfants séjournent durant la semaine. Il s’agit d’enfants réputés débiles légers, caractériels ou encore d’enfants trisomiques. Ces mots ne me disaient pas grand-chose, ils m’inquiétaient. Effectivement les premiers contacts sont indescriptibles, je ne savais où j’étais tombé et qui étaient ces enfants aux allures si étranges. La politesse et la discipline “ naturelle ” que j’avais rencontrées auparavant n’étaient plus de mise, je m’entendais dire d’un ton agressif : “ que fais-tu ici ? ” “ Qui t’a envoyé ? ”, “ t’as une femme ? ”, “ fout le camp ! ”, sans que je parvienne à les faire asseoir. Je n’avais qu’une envie, fuir et retrouver les enfants de l’année précédente. Peu à peu, je parviens à éviter que les chaises soient des objets volants ou que le grand costaud du fond de la classe casse la figure à un plus petit, ce qui l’amenait régulièrement à l’infirmerie. Après de longues semaines de cauchemars, je pus enfin devenir quelqu’un à défaut d’être leur instituteur. J’avais une classe de douze enfants et la plupart tentaient d’apprendre à lire, à écrire et à calculer depuis plusieurs années sans qu’une évolution de l’un ou de l’autre…

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