L’étude du processus d’individuation de la mère d’Anne clôture provisoirement le périple qui, partant du double lien, nous a conduit à chercher, selon les propres mots de G. Bateson, ce que l’iceberg nous cachait [Cf. note n°11 du chapitre « Croyances et double lien »] , c’est-à-dire l’architecture générale du double lien qui, au-delà du processus bien connu qui se joue entre deux partenaires, implique aussi une transformation de l’organisation familiale.
A l’aide de l’idée de milieu humain, nous avons d’abord étudié l’impact du double lien sur l’ambiance et les croyances de la famille nucléaire d’Anne, pour nous intéresser, ensuite, au processus d’individuation du père, ce qui nous permis de développer un nouveau modèle, celui du clan familial, tout en approfondissant l’idée de milieu.
Reste à étudier le processus d’individuation de la mère d’Anne. Le modèle que nous présentons est un cas de figure que nous avons souvent rencontré dans notre clinique ; d’autres configurations existent, nous avons retenue celle-ci parce qu’elle met en évidence des aspects nouveaux d’un modèle bien connu des thérapeutes, celui de la parentification associée à une infantilisation.
- Qu’est-ce qui permet à la mère d’Anne sinon d’engendrer du moins de soutenir avec tant de savoir-faire le double lien qui nous fascine ?
- Qu’est-ce qui la pousse souvent à soutenir la place si particulière de son mari ?
- Qu’est-ce qui l’incite à taire le divorce émotionnel qu’elle éprouve dans son couple ?
Telles sont les questions qui sont apparues au terme de l’étude de la triple contrainte. Partir à la recherche des origines de Jeanne n’est pas une étude historique où nous nous contenterions de prendre connaissance d’un passé révolu ; au contraire, il s’agit d’une démarche qui tente de comprendre la manière dont ce passé est encore présent aujourd’hui, à travers une organisation transgénérationnelle vivante par laquelle la culture familiale se transmet en se transformant.
I. L’HISTOIRE DE JEANNE
Les parents de Jeanne habitent une bourgade où ils tiennent une épicerie. Tandis que le père se rend très tôt le matin au marché de la ville la plus proche à la recherche de légumes frais, la mère sert les clients, aidée d’une vendeuse chevronnée qui fait parfois figure de patronne.
Enfant, Jeanne ne cesse de faire des allers-retours entre l’appartement familial situé à l’étage et le magasin où elle côtoie sa mère, la vendeuse et les clients.…
