FAUT-IL UN CADRE AUX PORTRAITS DE FAMILLE ? Vous avez dit cadre ?

LES B.A. BA DE LA SYSTEMIQUE...

François BALTA

10ème B.A. BA :

FAUT-IL UN CADRE AUX PORTRAITS DE FAMILLE ?

S’il est une chose fréquemment évoquée au cours de toutes les formations et supervisions en thérapie familiale systémique (comme d’ailleurs dans toute thérapie), c’est la question du cadre.

Ce cadre, il faut : le poser, le protéger d’attaques internes qu’externes, le réparer en cas d’agression, le maintenir, s’en servir, l’utiliser,... autant d’occasions d’en parler sans jamais tellement dire d’ailleurs en quoi il consiste.

Objet omniprésent, contenant indispensable, protecteur du travail, le « cadre », on ne peut s’en passer. Pourtant, le mot lui-même est absent du « dictionnaire des thérapies familiales » de J. Miermont, ouvrage très complet qui ne laisse guère de questions théoriques dans l’ombre. De même, si le « recadrage » a eu droit à quelques articles dans la revue "Thérapie familiale", il n’y en a aucun consacré spécifiquement au thème du « cadre thérapeutique ». dans le Dictionnaire de JC Benoit et coll. une courte notice est consacrée au cadre et à ses « caractéristiques complexes d’organisation des séances » : accueil matériel, éléments d’enregistrement et glace sans tain, préparation et organisation des séances... sous un angle éminemment concret.

Le cadre est perçu par les uns comme une organisation ritualisée, quasiment obligatoire des séances (un « thérapeute »( ?) ne disait-il pas il y a quelques années que sans vidéo et miroir unidimensionnel, il n’y avait pas de thérapie familiale systémique). Pour d’autres c’est un objet complexe qui doit être adapté à chaque situation à traiter.

Qu’en est-il donc ?

Cadre, demande, mandat, légitimité et objectif

On peut définir le cadre comme l’ensemble des moyens (qui semblent) nécessaires au(x) thérapeute(s)pour atteindre les objectifs définis par leur(s) patient(s)

Dans cette proposition de définition, je tente d’articuler ce qui est de la responsabilité des thérapeutes (ce dont ils pensent avoir besoin - à tort ou à raison - pour pouvoir travailler) et ce au service de quoi est ce cadre (la demande des patients). Dans cette vision, le cadre ne peut pas être totalement préétabli. Même si chaque thérapeute a ses habitudes de travail et s’il les impose plus ou moins à tous ses patients, le cadre doit être explicité et adapté aux demandes et objectifs des personnes qui consultent.
Cette définition contient un paradoxe autoréférentiel. En effet, le cadre, c’est à la fois le moyen de mener à bien les actions thérapeutiques, et une action thérapeutique en lui-même.
Complexité supplémentaire, et autoréférentielle à nouveau, le cadre doit définir ce qui le protégera et le restaurera le cas échéant.
Ce le qui rend légitime, c’est-à-dire ce qui rend les moyens demandés justifiés, c’est qu’il est au service d’un objectif. Et cet objectif doit être celui de ceux qui viennent consulter. La légitimité est fondée sur ce travail en vue d’un but commun. Certains, une fois cette permission donnée, pensent qu’il leur est possible d’explorer tous les recoins de la maison-famille sans plus de préalables. D’autres demandent poliment la permission d’entrer dans chaque nouvelle pièce, avant d’explorer chaque nouveau thème ou période de la vie familiale. Quelle que soit la stratégie choisie, elle ne se justifie qu’au service de l’objectif poursuivi, et l’adéquation entre les moyens et la fin doit être vérifiée régulièrement.

L’intérieur et l’extérieur

Le cadre est une frontière qui délimite, arbitrairement bien sûr, un intérieur et un extérieur. Il doit donc préciser :

 qui est admis à l’intérieur, qui doit rester en dehors, et les règles qui permettent de modifier le nombre, la nature des participants, ainsi que ce qui sera fait en cas d’absence de l’un des membres de la famille.
 ce qui est admis (parler, se taire, ne pas répondre, mentir...), et ce qui est interdit (la violence physique essentiellement, certains thèmes qui peuvent être exclus volontairement de l’investigation) dans cet espace privatisé. Ces règles, souvent "évidentes" pour les thérapeutes ont tout intérêt à être rappelées dès le début d’une thérapie, ne serait-ce que pour poser un contexte de liberté de parole autant pour le thérapeute que pour la famille.
 les règles qui concernent la manière dont seront traitées les informations : acceptation ou non de leurs entrées (par exemple "tout ce qui est dit par l’un des membres sera redit au groupe" : règle de restitution) et de leurs sorties (par exemple "rien de ce qui se dit ne peut être dit à d’autres" : règle de confidentialité). On connaît l’importance des difficultés créées par les apartés, les confidences, les collusions tentées autour d’un secret partagé dans le dos d’un des membres du groupe. Le cadre est là pour traiter sans trahir, pour s’allier sans se coaliser. En cas d’enregistrement vidéo ou audio, l’utilisation des enregistrements doit être précisée, et un accord écrit signé est d’ordinaire demandé.
 La durée de l’engagement thérapeutique : le début et la fin de la thérapie sont les limites temporelles de cet espace. Cette question peut être posée d’emblée, avec ses modalités particulières : nombre de séances définies ou qui sera à réévaluer régulièrement ou laissée totalement de côté ("autant que nécessaire"). L’engagement des thérapeutes pouvant être différent de celui des patients, les thérapeutes restant au service de la famille au-delà de la thérapie.
 Des conditions particulières en cas d’arrêt peuvent être évoquées : dernière séance de mise au clair par exemple.

Les effets du cadre

Comme on le voit, le cadre peut sembler nécessiter un long temps d’information et de négociation.
Plus il sera précis et contraignant, plus il sera structurant et donc protecteur, et plus il aura des (mal)chances de ne pas être respecté. Plus il sera souple, plus il demandera d’adaptabilité aux thérapeutes, et moins il permettra de faire apparaître certains (dys)fonctionnements familiaux.
Mais il ne faut pas croire que le travail commence une fois le cadre posé ; sa mise en place, sa présentation ou sa négociation, son élaboration conjointe, sont déjà au cœur du processus d’investigation et de changement. C’est la rencontre, c’est-à-dire l’alliance plus ou moins facile, entre deux cartes du monde, entre deux modes de fonctionnement, qui se tricote en même temps que le cadre se pose.
Un des effets importants du cadre, c’est de rendre possible la confiance en assurant la sécurité psychologique des participants. D’où l’importance pour les thérapeutes d’être les garants de son respect. Et donc les premiers à s’y soumettre.

Le problème des autres problèmes

Autre problème créé par cette différenciation en un espace interne et un extérieur, c’est celui des autres difficultés ou problèmes qui peuvent être perçus par les intervenants comme devant être résolus pour pouvoir accomplir leur travail. Ces difficultés pour lesquelles il n’y a pas eu de mandat donné, doivent être considérées comme des faits, des données brutes à intégrer sans les résoudre dans la problématique elle-même. Entre l’activisme non légitime sur des problèmes pour lesquels les patients n’ont rien demandé (et que parfois, ils ne veulent surtout pas voir modifier) et la cécité volontaire ("ceci ne nous regarde pas..."), une attitude respectueuse à la fois de ces problèmes autres et du cadre posé, c’est de les intégrer comme ils sont, en rappelant que leur existence limite ou interdit un certain nombre de solutions imaginables. Ils fonctionnent alors comme des données de la situation, et peuvent/doivent être reliés au problème à traiter. Il appartient alors à la famille de demander à intégrer ces autres problèmes au champ de ce qui doit être retravaillé, mais, a priori, les thérapeutes n’ont pas intérêt à se mettre dans une position haute faible en décidant, contre l’idée des patients, qu’il faut absolument traiter ceci avant de pouvoir traiter ce pour quoi ils viennent. Leur rôle sera plutôt de rappeler la difficulté à avancer sur ce dernier point ET l’importance qu’il y a pour la famille à préserver ces autres points problématiques tels qu’ils sont. Cette manière de considérer les problèmes hors-cadre non plus comme des problèmes mais comme des faits quand ils sont considérés dans le cadre permet de les intégrer, d’en tenir compte sans pour autant outrepasser les droits des thérapeutes et les demandes des patients, tout en les mettant au centre, ou presque, du travail. Bien sûr, le contenu concret de ces problèmes-faits variera en fonction du contexte de travail. Dans le cadre d’un travail familial pour un enfant, il pourra s’agir des problèmes du couple, dans celui d’un travail de coaching, il pourra s’agir de problèmes familiaux...

En conclusion

Nous résumerons ce qui vient d’être dit dans le schéma suivant.