LA THERAPIE DOIT-ELLE ETRE TRAUMATIQUE ? par François Balta Thérapie traumatique, vous avez dit "thérapie traumatique" ?

Comme c’est d’ordinaire au nom des bonnes intentions que la souffrance est infligée, il est légitime de se demander jusqu’où la thérapie peut-elle être traumatique, et les thérapeutes traumatisants. Ceci en toute bonne conscience puisqu’il est une tradition déjà ancienne, et jamais démentie quelles que soient les références, qui veut que les échecs sont imputables à la gravité de la maladie et les succès à l’habilité des thérapeutes ou au bien-fondé de leurs constructions théoriques.

LES B.A. BA DE LA SYSTEMIQUE...

LA THERAPIE DOIT-ELLE ETRE TRAUMATIQUE ?

François BALTA

Comme c’est d’ordinaire au nom des bonnes intentions que la souffrance est infligée, il est légitime de se demander jusqu’où la thérapie peut-elle être traumatique, et les thérapeutes traumatisants.

Ceci en toute bonne conscience puisqu’il est une tradition déjà ancienne, et jamais démentie quelles que soient les références, qui veut que les échecs sont imputables à la gravité de la maladie et les succès à l’habilité des thérapeutes ou au bien-fondé de leurs constructions théoriques.

Des pratiques anciennes toujours actuelles.

Souvenons-nous, il y avait déjà le traitement de l’hystérie mystique par la crémation rédemptrice, ainsi qu’une grande diversité de méthodes plus sadiques les unes que les autres à visées de confession et de sauvetage des âmes et des corps.
Il fallait bien faire sortir le mal(in) de la pécheresse et du pécheur !...

Plus tard, aux débuts de la psychiatrie, accompagnant le « traitement moral », l’hydrothérapie surprise à l’eau froide a donné lieu à quelques inventions pleines de poésie : le pont qui s’ouvre subrepticement, la cage à immersion, ou le siège à bascule dans le baquet d’eau froide...

Dans un mélange ambigu soin-éducation, les pratiques orthopédiques diverses visaient à chasser la perversité qui sommeille toujours, particulièrement chez les pauvres, voleurs de pain par destinée, donc prédestinés à la psychopathie antisociale.

Restons discrets sur l’usage fait de la psychiatrie dans des temps pas très anciens où s’opposer en revenait à être schizophrène, et vouloir dénoncer quelque chose n’était qu’un viatique pour un traitement neuroleptique ; essayons de mettre cela sur le dévoiement politique des dirigeants et non sur l’absence d’éthique - ou une éthique de la servilité - des professionnels concernés.

Encore aujourd’hui les pratiques traditionnelles de bien des cultures s’inspirent d’une représentation de la maladie force étrangère prenant possession de la personne.

Le mal alors doit être chassé par divers procédés, dont certains n’hésitent pas à mettre à mal la pauvre enveloppe charnelle élue par ce locataire indélicat.

Comme dans les pratiques les plus allopathiques, il arrive alors que le malade « meurt guéri » après des sévices auxquels il n’a pas survécu. Quant au mal qui était supposé l’habiter, on peut penser qu’il est passé directement et discrètement dans les mains énergiques qui visaient à le détruire.

Je me souviens ainsi d’une séance chez une célèbre guérisseuse de le Réunion, séance pendant laquelle les coups de serviette mouillée dans la figure et les jets de sel dans les yeux allaient crescendo, s’adaptant dans l’ivresse mimétique au refus du mal de quitter le corps de la pauvre adolescente diagnostiquée possédée. Dans une retenue thérapeutique tout à son honneur, notre guérisseuse a préféré tout à coup changer de technique devant le refus de se soumettre de la force malsaine. Il n’était pas question de perdre la face, la position de guérisseur devant être maintenue toujours en position haute.

La violence du soin

Mais foin d’exotisme. La violence a cours aussi sous nos climats réputés tempérés. Celle qui nous est familière perd son visage révoltant. Elle devient même invisible à force d’être pratiquée et donc « normale », suivant le même processus qui nous rend aveugles aux morts psychogènes lorsqu’elles sont liées à nos propres références culturelles.

Il y a fondamentalement la violence de la maladie mentale, qui met à mal la liberté du sujet autant que celle de son entourage. Et cette violence a vite fait de contaminer tous ceux qui y ont affaire, contre violence des proches rapidement interprétée comme éventuellement causale.

Il y a ensuite la violence du diagnostic, avec ses errements, ses erreurs et ses condamnations sans retour... C’est celle du pouvoir médical, celui qui décide du normal et de l’anormal.

Celle de la camisole chimique qui a pris le relais durable de la camisole en tissu...
Et les internements, parfois justifiés, parfois justifiés médicalement et arbitraires juridiquement, parfois arbitraires et médicalement et juridiquement...
Il y a toutes les formes subtiles de violence institutionnelle : celle du traitement systématique d’entrée, celle de la non disponibilité ou même, ça se voit dans certains services, de l’interdiction de communiquer entre personnels infirmiers et malades... de l’indifférence à la gestion purement administrative des patients. Toutes ces situations asymétriques qui mettent le patient à la merci de ceux qui s’en occupent, et peuvent créer, pour son bien naturellement, des situations de violence.

N’oublions pas au passage la violence subie par les soignants, coincés entre Institutions, malades, familles et société.
Dans le cadre même de ce qui devrait être un espace d’écoute et d’accueil de la parole, il y a la violence du silence de l’analyste et celle de l’interprétation, dénoncée depuis longtemps.

Et combien de psychothérapies véhiculent une vision normative qui méconnaît la diversité des parcours et le besoin de sens de ces chemins hors norme... Violence normative d’autant plus pernicieuse qu’elle répond à une attente fréquente des patients : « être comme tout le monde »...

La thérapie familiale systémique entre éthique psychanalytique et hubris pragmatique

Les thérapies systémiques n’échappent pas bien sûr au risque de se montrer traumatisantes.
D’autant qu’elles ont beaucoup insisté à leur début sur la mauvaise foi des familles qui demandent d’une main ce qu’elles refusent de l’autre, et dont les plaintes doivent donc être entendues avec beaucoup de circonspection. Les métaphores stratégiques fleurissent, comparant le champ thérapeutique à une partie d’échecs ou à une campagne militaire, descriptions dans lesquelles les partenaires sont adversaires plus qu’alliés. Dans ce contexte, tout comportement de la famille est d’abord pensé comme « manœuvre » homéostatique, c’est-à-dire résistance... aux actions louables des thérapeutes pour induire un changement.
Pourtant, il y a fondamentalement dans la vision systémique la même chose que ce qui a mobilisé la psychanalyse à son origine : la croyance en un sens du symptôme, et donc à une valeur à respecter portée par ce dont on se plaint. Mais ce sens est ici élargi à la dimension contextuelle d’un projet de vie et non limité à l’inconscient historique bégayant d’un sujet.
Dans le désir de guérir, orgueilleusement opposé au désir de détruire de la maladie, est-ce à dire que tous les coups, stratégiques s’entend, sont permis pour faire surgir ce sens et permettre au système familial de le prendre en compte ?

Soigner le mal par le mal : la crise comme outil thérapeutique

Une autre vision est venue renforcer la dimension provocatrice de la thérapie familiale systémique. Celle qui concerne la crise, ainsi que la vision des systèmes à l’équilibre et hors équilibre.

La crise est décrite comme mobilisant à la fois les possibilités de changement du système familial et comme stimulant au maximum ses forces homéostatiques. Le thérapeute peut alors concevoir son rôle comme étant d’amplifier la crise, de l’empêcher de se calmer, de manière à stimuler les possibilités créatives du système. Si cette vision est théoriquement tout à fait logique, elle ne se révèle efficace et praticable que grâce à une alliance et un soutien très fort des thérapeutes.

Si l’on se contente de provoquer le système et d’aggraver ses tensions, on n’aboutit qu’à la rupture de la relation et/ou à des décompensations individuelles. L’alliance et le soutien restent les bases indispensables de facilitation du processus de changement. En effet, il ne s’agit pas d’un peu plus de la même chose ou de l’ajout d’une petite différence respectant une vision du monde, mais d’un véritable bouleversement de cette manière de voir, de la remise en question d’une règle fondamentale du système, c’est-à-dire le plus souvent une règle tellement évidente et acceptée qu’implicite pour ne pas dire inconsciente. Et qui dit « règle » dit aussi « valeur », croyance qui donne sens à la vie. La crise, c’est l’effondrement de ce sens habituel. On imagine alors, si on comprend tout ce que représente les mots de « sens », « valeur », « crise », « croyance » d’un point de vue humain et existentiel, la difficulté d’accompagner ce processus. Si la peur, la tristesse, la méfiance sont des émotions inévitables dans le processus de changement, avec toute l’activation des mécanismes de défense contre cet inconfort émotionnel, le rôle du thérapeute n’est ni de les empêcher, ni de les nier, ni de les provoquer, mais seulement de les permettre, les accueillir, les contenir et aider à leur acceptation en vue de leur dépassement.

La modestie thérapeutique

Au contact du plus sensible dans la vie de chacun, le thérapeute peut ressentir l’ivresse d’un pouvoir immense et le vertige de la petitesse de ses moyens. Cette tension, source de crise pour lui, peut l’amener à se défendre à son tour de la tempête que la famille l’invite à traverser.

Une clinique spécifiques des mécanismes de défense alors mobilisés chez les thérapeutes reste à faire dans ses spécificités liés à la situation de pouvoir particulière dont il dispose. On y trouverait certainement des correspondances avec les « styles » des thérapies ou des écoles de thérapies familiales, chacune s’étant construite non seulement sur les centres d’intérêt des pères fondateurs, mais aussi sur leur façon personnelle de faire face au contact avec la folie des familles.

En attendant cette cartographie rassurante, il faudra à chacun s’appuyer humblement sur ses déséquilibres pour construire et développer sa compétence à accompagner, à l’aveugle le plus souvent mais en faisant confiance aux ressources du système thérapeutique, c’est-à-dire confiance dans la partie de la famille qui souhaite aller mieux.

Vous trouverez ci-joint un texte sur la Prévention de la récidive de violences et d’agressions sexuelles envers les enfants, pour le lire utiliser acrobat reader :